La véritable histoire du Chouchen breton

LA VÉRITABLE HISTOIRE DU CHOUCHEN
POURQUOI CE BLOG ?
En effet, cela fait un moment que le sujet me travaille. A chaque fois que je me déplace dans ma région (Cantal-Auvergne) et hors de ma région lors d’événements gastronomiques ou de foires, il y a toujours au moins une personne (beaucoup plus en réalité) qui me fait remarquer que je produis du « chouchen »... C'est systématique.
"Pardon ? Pas du tout dois-je leur répondre, je suis Hydromellier et je produis de l'hydromel."
IL faut dire qu'à mes débuts j'étais souvent décontenancé d'être associé à ce produit emblématique que l'on ne peut qu'attribuer à cette belle région qu'est la Bretagne. Cependant je ne suis pas Breton et je ne produis pas de chouchen mais bien de l'hydromel.
J'ai donc décidé, une bonne fois pour toute, de démêler le vrai du faux, de démystifier ce qui représente une terrible confusion dans l'esprit du consommateur : L'hydromel et le Chouchen, est-ce réellement la même chose ???
Oui et Non et....Non et Oui.
Un débat passionné avec des confrères Bretons m'a fait justement prendre conscience qu'il était temps d'établir les bases commerciales de ce qu'était en fait le chouchen, et l'hydromel dans une mesure plus étendue. L'idée était de pouvoir clairement expliciter ce qu'était l'un et l'autre, pour que le consommateur ne soit plus perdu. Voici la synthèse que j'en ai tirée :
Commençons par un petit rappel législatif. Légalement, l'hydromel est une boisson fermentée « exclusivement » à base d'eau potable et de miel. Précisons tout de même que cette loi date de 1905 et qu'elle n'a jamais été révisée au vu du peu de débouché commercial que la filière pouvait avoir, c'est à dire un oubli quasi total. Dès lors, la confusion a toujours régné lorsqu'il s’agissait de qualifier un hydromel dans lequel il y a d'autres intrants (fruits, épices, etc...). Et comme la production du chouchen, comme nous le verrons plus tard, est fortement liée à l'ajout d'autres intrants de par les spécificités locales mais aussi les us et coutumes ou encore de simples concours de circonstances (comme c'est aussi le cas pour l'hydromel), il est alors bien difficile de rester dans le cadre strict de la loi sans avoir d'autres qualifications à proposer. Hydromel et chouchen sont donc devenus des termes presque « génériques » et pourtant différents, par l'aspect culturel notamment, pour désigner une boisson fermentée faite à partir de miel et d'eau, mais aussi parfois d'autres choses...
C'est donc un peu ce qu'il s'est passé d'un point de vue régional chez nos amis Bretons bien avant la première guerre mondiale. Il faut tout de même souligner que la Bretagne a été l'un des premiers bastions en France à démocratiser l'hydromel jusqu'à le populariser à l'extrême et en faire même une ancre culturelle. Cependant, je tiens à préciser qu'avec le titre de « plus vieille boisson alcoolisé au monde » l'hydromel n'est pas plus « né » en Bretagne que le vin n'a été inventé à Bordeaux (à cette occasion je vous invite à consulter la page de l'histoire de l'hydromel sur ce site pour plus d'informations).
Ne confondons donc pas origine du produit et démocratisation de celui-ci en France. L'hydromel a été (et continue de l'être) bien plus populaire dans des pays de l'Est comme la Pologne et les pays Baltes depuis un temps bien plus ancien que la démocratisation de l'hydromel en France, dont la case départ se situe tout de même sur la pointe atlantique de notre pays.
Ils ont des chapeaux ronds...
Vous aurez remarqué que, depuis le début, je ne mentionne presque que le terme d'hydromel et moins Chouchen...Revenons donc à nos moutons qui ont des chapeaux ronds. Le Chouchen est-il la traduction littérale d'hydromel en langue Bretonne ? La réponse est NON. En Breton l'hydromel se nomme MEZ (En Gallois MEDD, en Irlandais MID, en Anglais MEAD), on en retrouve d'ailleurs sa présence dans le Catholicon (dictionnaire imprimé à Tréguier) dès 1499. Cette origine étymologique est à imputer aux Celtes, visiblement, venus peupler cette région d'Europe il y a plus de 2000 ans. Et pour preuve l'on retrouve le mot MÉZ en Hongrie (pays qu'ils ont conquis) qui se traduit littéralement par MIEL.
Mais alors pourquoi Chouchen ? D'après la langue Bretonne cela viendrait de Souchen ou Souchenn qui se traduirait par « souche d'arbre ». Vous avez bien entendu, une souche d'arbre, ces petits habitats bien confortables ou viennent se loger les abeilles (et parfois les Korrigans) pour y produire le miel nécessaire à la survie de leur colonie.
Le premier à avoir pensé à qualifier son hydromel de « Chouchen » (qu'il nomme d'ailleurs « Souchen ») est un producteur, Mr Le Moal, et nous en retrouvons sa trace dans un article de L'UNION AGRICOLE ET MARITIME paru le 15 novembre 1895. Extrait :
« ROSPORDEN. - M. Le Moal, négociant en notre ville, vient de livrer à la consommation, sa précieuse liqueur, l'hydromel, dit Souchen. »
Les bases d'une marque commerciale devenu populaire
Ce n'est que quelques années plus tard, en 1920, qu'un autre négociant et futur maire de Rosporden, Mr POSTIC, pense à déposer officiellement le terme « Chouchen » qui devient donc une propriété industrielle. Il le popularise très rapidement dans les bars, troquets et cabarets des alentours. Au lendemain de la seconde guerre mondiale Mr POSTIC développe encore plus son affaire en lançant une production semi-industrielle et inonde une région attachée au Cidre et qui pourtant, comme le mentionne Mr Alexandre Bouet dans les années 1830, produisait de l'hydromel quand le cidre manquait. La ville de Cornouailles devient rapidement la « capitale du Chouchen » incitant certainement d'autres producteurs à s'atteler à la production de ce que tous pensaient sûrement être alors une spécialité Bretonne. Le Chouchen devient populaire en région, bien plus que l'hydromel ne le devient partout ailleurs en France. On s'en félicite, l'hydromel Breton devient dans l'esprit de tous le fameux CHOUCHEN. Cela restera gravé dans les mémoires jusqu'à nôtre époque mais hélas contribue aujourd'hui à semer la confusion pour les non-bretons qui, inconsciemment, s'interdisent de penser que l'hydromel puisse être produit ailleurs.
Il faudra attendre les années 1970 et l'essor des FestNoz dans lesquelles l'alcool (mais surtout le Chouchen) coulait à flot pour terminer de faire du Chouchen une boisson phare-breton (pardonnez-moi l'expression), Made In Breizh. Entre temps, visiblement, la marque Chouchen (pour une raison que j'ignore) devient public. Le dépôt de marque n'est pas renouvelé à un moment de son histoire et laisse libre cours à la créativité des producteurs et autres négociants.
Cependant, dans les années 2000, un producteur d'hydromel et de liqueurs dépose à nouveau le terme « Chouchen » qui redevient une propriété industrielle, une marque semi-figurative protégeant plus le visuel de son produit que la dénomination "Chouchen", comme l'entrepreneur me le faisait savoir par téléphone, et plus pour l'aspect culturel - en toute conscience - que pour s'approprier un titre qui appartient à la culture Bretonne. Nous continuons donc, hélas, de voir fleurir naturellement le terme Chouchen chez moult Hydromelliers de Bretagne mais aussi dans d'autres régions (et même certains pays comme lItalie ou le Canada) ...parfois produit par de très bons professionnels (rares) mais hélas (et souvent) repris par des fabricants « d'alcool à façon » qui souhaiteront seulement profiter de l'effet Chouchen pour produire un hydromel de piètre qualité à bas prix. Et c'est hélas ce que beaucoup de consommateurs retiendront de l'expérience hydromel-chouchen, confondant les termes et ne souhaitant plus y revenir. C'est un peu la même histoire que les vins du Beaujolais et le Beaujolais nouveau.
Quel avenir pour une appellation "Chouchen" ...?
C'est en effet à mon sens une erreur, et contribuera peut-être dans les années à venir à faire sortir le « Chouchen » de sa dénomination régionale et originelle. Il y a là matière à discussion. Marque ou appellation … ? Tradition ou propriété commerciale ? Produit régional ou national ? Il faudra bien que tôt ou tard les Bretons se décident à défendre et qualifier le Chouchen s'ils souhaitent que cela reste une véritable empreinte de leur territoire, mais surtout pour lever aujourd'hui ce doute qui règne dans l'esprit du consommateur entre hydromel et chouchen.
Pour terminer sur une question technique, le « Chouchen » est-il un hydromel au sens légal comme nous l'évoquions au tout début de ce blog ? En effet nous entendons souvent que le chouchen est fait avec du jus de pomme ou encore de l'eau de vie, ou encore de choses plus exotiques... ce qui le ferait sortir du cadre « strict » de la loi pour le qualifier d'hydromel. Il est à penser qu'à l'origine le jus de pommes servait de ferment naturel pour lancer la fermentation (le miel contient naturellement peu de ferments) ou alors que dans les années pauvres en cidre on y ajoutait du miel au jus de pommes, ce qui devait se transformer en hydromel à la pomme d'une façon ou d'une autre. Concernant l'eau de vie... faut-il croire que l'ajout était effectué pour masquer un goût indésirable ? Pour le conserver plus longtemps ? Pour lui donner plus de corps ou encore juste pour élever le degré alcoolique et profiter au mieux de l'ivresse ? Ou peut-être un peu de tout à la fois... ?
Il y a autant de raisons et de chouchens différents, me disait un producteur, que de spécificités locales en Bretagne (ainsi que d'autres dénominations de langage comme Chuféré ou Dourvel selon les localités). Le produit « Chouchen » n'ayant pas été défini concrètement à la base par un regroupement de producteurs, chacun pouvait faire (et continue de le faire) ce qu'il voulait du terme Chouchen qui, disons-le, est une véritable accroche commerciale et marketing du à un essor local grandissant, surtout d'un point de vue touristique.
Un casse-tête, même pour les bretons
Comme le souligne un article du télégramme paru le 05 février 1997 il y a matière à discussion au sein même des rangs bretons quant à la qualification du tant prisé "Chouchen". Le titre de l'article est évocateur :
"Chouchen ou chouchenn ? Les producteurs ne nagent pas dans le miel"
"Certains producteurs écrivent chouchen avec un N. D'autres avec deux N. Remarque anecdotique ? Sans doute. Mais qui démontre que dans le petit monde des producteurs de chouchen (n), le célèbre hydromel breton, tout ne coule pas de source et que tous ne parlent pas d'une même voix. Ces divergences ont été illustrées hier au cours de l'assemblée de la « Chouchenniculture » qui s'est tenue à Guerlesquin devant une trentaine de personnes et au cours de laquelle les éclats de voix n'ont pas été atténués par les effets bienfaisants du miel et de ses dérivés. Des divergences Les sujets de divergence ne manquent pas. Ils sont même nombreux. Les chouchens secs, par exemple, sont différents des chouchens liquoreux. Tous n'affichent pas les mêmes degrés. Les modes de fabrication varient. Les approches du produit et de la commercialisation divergent... Et puis, il y a aussi la personnalité du président Pierre Dassonville, le producteur de Plouégat-Moysan, fondateur de l'association des « Amis du chouchenn ». Un président-fondateur fonceur et créatif, apprécié par les uns, mais aussi critiqué par les autres parce qu'il dérange. Une même voix Cette cacophonie qui règne dans les rangs des producteurs a vite importuné Jacques Feunteuna, président de la Chambre de commerce, invité de la manifestation en compagnie de Raymond Borneck, président d' « Api-mondia », une référence nationale dans le monde butinant. Le président morlaisien s'est bien gardé de tenir des propos mielleux : « Je suis, a-t-il dit, restaurateur, hôtelier et marchand de vins. Je crois bien connaître les alcools et les spiritueux. Mais je ne comprends rien à vos affaires. Vous avez élu un président qui veut aller de l'avant. Il peut certes déranger. Et, apparemment, il dérange certains. Si vous n'êtes plus d'accord, eh bien, changez de président ! La Chambre de commerce de Morlaix est prête à vous aider dans vos projets à condition que les producteurs parlent d'une même voix. Actuellement, au vu de vos désaccords, elle ne peut rien faire pour vous. » Ruchier ou guêpier ? Il est certain que les producteurs de chouchen bretons, s'ils veulent être aidés par la CCI de Morlaix et revaloriser leurs produits, devront s'inspirer de la quiétude des reines, de l'efficacité des abeilles et de l'organisation des ruchers et des essaims. Pour le néophyte et le président Dassonville, hier matin, la réunion des « Chouchenniculteurs » bretons tenait plutôt du guêpier. Qui a dit que le miel adoucissait les moeurs ? René Le Clech Le président Dassonville avait, à ses côtés, un grand spécialiste de l'abeille et des produits dérivés, M. Raymond Borneck, président « d'Api-Mondia »."
Il faudra noter tout de même qu'à un moment de son histoire le Chouchen a aussi souffert de sa réputation d'être « violent » (il est souvent plus alcoolisé, et aussi plus sucré, que des hydromels produit ailleurs qu'en Bretagne). Il est aussi accusé de faire tomber les gens la tête en arrière quand on en abusait...Il est probable que cette légende urbaine vienne du fait qu'avant de connaître des moyens techniques propres d'extraire le miel on broyait les rayons avec tout ce qu'ils contenaient : miel, pollen, larves d'abeilles, abeilles et donc...venin d'abeille ! Cependant aucune source sûre n'a jamais pu le confirmer et il est toujours amusant d'écouter cette petite anecdote plutôt cocasse. Personnellement je pense plutôt que les Bretons aiment faire la fête, et pas qu'un peu !
CONCLUSION
Voilà, vous comprenez aujourd'hui que l'hydromel ce n'est pas du Chouchen, mais plutôt que le Chouchen est une culture de l'hydromel en Bretagne, culture si forte qu'elle a réussi à le populariser et en faire une véritable spécialité régionale.
Sur ce... LONGUE VIE A L'HYDROMEL ! (A consommer avec modération, l'abus d'alcool est dangereux pour la santé)
Et comme le dirait mon ami Sylvain Le Cras (je précise que sans ses connaissances historiques, son amour pour la Bretagne et pour l'hydromel cet article n'aurait pas pu voir le jour) :
YEC'HED MAD DA CHOUCHENN !
Merci Sylvain.
Fabien Kaczmarek, Maître Hydromellier en Châtaigneraie Cantalienne